Klimt portrait of African prince seized in Vienna amid export dispute

Thibault Gauthier
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Klimt portrait of African prince seized in Vienna amid export dispute

Les procureurs viennois ont saisi en mars 2025 un portrait rare de Prince William Nii Nortey Dowuona, émissaire de la tribu Osu du Ghana, peint par Gustav Klimt en 1897. L’œuvre, vendue pour 15 millions d’euros à la foire d’art TEFAF MaastrichtMaastricht par la galerie viennoise Wienerroither and Kohlbacher Gallery, a été bloquée après que les autorités autrichiennes ont émis des doutes sur sa sortie légale de Hongrie, où elle aurait été conservée pendant des décennies. La controverse révèle un conflit juridique entre deux États européens sur les lois de patrimoine culturel — et met en lumière une œuvre qui réécrit l’histoire de l’art occidental.

Un chef-d’œuvre caché, redécouvert par hasard

C’est un client ordinaire qui a fait basculer l’histoire de cette toile. En été 2023, un homme est entré dans la galerie Wienerroither and Kohlbacher Gallery à Vienne, a demandé à vendre un Klimt — et le vendeur a cru à une blague. "Il a dit : 'Je veux vendre un Klimt.' Je me suis dit : 'Ah bon ?'" raconte Ebi Kohlbacher, propriétaire de la galerie. L’œuvre, mal encadrée, poussiéreuse, avait été laissée dans un coin pendant des mois. Une fois nettoyée, l’identité du sujet est apparue : un homme d’apparence africaine, vêtu de broderies somptueuses, fixant le spectateur avec une dignité inédite dans l’art européen de l’époque.

Alfred Weidinger, l’un des plus grands experts mondiaux sur Klimt, a confirmé l’authenticité de l’œuvre après deux décennies de recherche. "C’est une étape clé dans le langage artistique de Klimt", explique-t-il. "Les motifs floraux, les ornements stylisés — tout cela annonce la période dorée qui va suivre, notamment avec le portrait de Sonja Knips en 1898." Pour Weidinger, cette toile n’est pas seulement un portrait : c’est un tournant dans l’évolution du style du peintre autrichien.

Un prince africain dans l’Europe coloniale

Qui est donc ce prince ? William Nii Nortey Dowuona était un émissaire royal de la tribu Osu, envoyé à Vienne en 1897 pour une exposition coloniale. Contrairement aux expositions de 1878 où les Africains étaient exhibés comme des curiosités, ici, ils étaient présents parmi le public. "Ils n’étaient plus séparés", note Le Quotidien. Klimt, fasciné, a peint ce prince avec une attention rare : pas de stéréotypes, pas de condescendance. Des motifs africains ornent ses vêtements, son regard est direct, puissant. "L’admiration émane clairement de cette peinture", affirme Ebi Kohlbacher.

Cette œuvre est la seule représentation connue d’un Africain par Klimt. Et elle est aussi un acte politique. À une époque où l’Europe voyait les peuples colonisés comme inférieurs, Klimt leur accorde une présence monumentale. "C’est une rupture", souligne Point de Vue. "Elle change la manière dont les Européens regardent les Africains."

Une histoire troublée par le nazisme

Mais l’œuvre a une histoire sombre. Point de Vue et Actu-Culture rapportent que le tableau a été spolié par les nazis en 1938, après que ses propriétaires juifs — la famille Klein — ont fui Vienne. Ils se sont cachés à Monaco, vivant dans une pièce secrète pendant la dernière année de la guerre. Après leur mort, la toile a disparu. Pendant des décennies, elle a été oubliée, jusqu’à sa réapparition en 2023.

Les héritiers d’Ernestine Klein, une des dernières propriétaires juives, avaient déjà obtenu un accord de restitution avec la galerie, conformément aux Principes de Washington sur les biens spoliés par les nazis. L’œuvre était prête à être exposée, puis vendue — jusqu’à ce que les autorités hongroises interviennent.

Le conflit entre Vienne et Budapest

Le conflit entre Vienne et Budapest

La pierre d’achoppement ? La Hongrie. La galerie affirme que l’œuvre a été légalement exportée de Hongrie en 2023, avec une confirmation écrite des autorités locales : "Aucune licence d’exportation requise." Mais les procureurs viennois pensent que l’œuvre, bien qu’ayant été en Hongrie pendant des décennies, est une propriété culturelle autrichienne — et qu’elle aurait dû être déclarée avant sa sortie.

"C’est un cas de juridiction croisée", explique une source proche du dossier. "La Hongrie applique ses lois sur les biens culturels. L’Autriche affirme que ce tableau est une œuvre nationale, même s’il a été hors de ses frontières." Le problème ? La Hongrie n’a pas signé de traité bilatéral spécifique avec l’Autriche sur ce type d’œuvre. Et les Principes de Washington ne traitent que des spoliations nazies, pas des exportations illégales.

Le tableau est maintenant sous séquestre. Toute vente est suspendue. La galerie, qui a dépensé des centaines de milliers d’euros pour le restaurer, est dans l’attente. "Nous avons fait tout ce qu’il fallait", dit Ebi Kohlbacher. "Mais maintenant, c’est la politique qui décide. Pas l’art."

Que se passera-t-il maintenant ?

Les experts s’accordent sur un point : cette œuvre est trop importante pour disparaître dans les archives judiciaires. Deux scénarios sont envisagés. Soit la Hongrie reconnaît que l’œuvre n’est pas soumise à ses lois de patrimoine, et la restitution peut se poursuivre. Soit, dans le pire des cas, elle est déclarée "biens culturels hongrois" — ce qui obligerait l’Autriche à la restituer à Budapest, malgré les droits des héritiers Klein.

Un précédent existe : en 2018, la France a rendu un tableau de Modigliani à une famille juive après une longue bataille juridique. Mais ici, la complexité est accrue par la double couche : spoliation nazie + exportation contestée. "C’est un cas unique", dit un avocat spécialisé en droit de l’art. "On ne peut pas réécrire l’histoire, mais on peut choisir de la respecter." Un héritage qui dépasse les frontières

Un héritage qui dépasse les frontières

La toile n’est pas la seule représentation de Prince William Nii Nortey Dowuona. Un autre portrait, peint par Franz Matsch, ami de Klimt, est conservé au Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art du Luxembourg. Mais c’est celui de Klimt qui parle le plus fort. Parce qu’il ne montre pas un "exotique". Il montre un homme. Un prince. Un égal.

La question n’est plus seulement légale. Elle est morale. Doit-on laisser une œuvre aussi significative, qui a survécu à la guerre, à la spoliation, à l’oubli, coincée dans un entrepôt judiciaire à cause d’un papier manquant ? Ou faut-il la rendre au monde — à ses héritiers, à l’histoire, à la vérité ?

Foire aux questions

Pourquoi cette peinture est-elle si importante dans l’histoire de l’art ?

C’est la seule œuvre connue de Gustav Klimt représentant un Africain avec dignité et complexité, loin des stéréotypes coloniaux. Son style — avec les motifs floraux et décoratifs — marque une transition vers sa période dorée, influençant directement des œuvres comme le portrait de Sonja Knips. Alfred Weidinger la qualifie de "clé" dans l’évolution de son langage visuel.

Qui sont les héritiers légitimes de cette œuvre ?

Les héritiers d’Ernestine Klein, une juive autrichienne qui a fui les nazis en 1938, ont obtenu un accord de restitution en 2024 avec la galerie Wienerroither and Kohlbacher. Cet accord, fondé sur les Principes de Washington, reconnaît leur droit moral et légal sur l’œuvre, malgré sa disparition pendant la guerre.

Pourquoi la Hongrie est-elle impliquée dans cette affaire ?

La peinture a été conservée en Hongrie pendant plusieurs décennies après la guerre. Les autorités hongroises affirment qu’elle a été exportée légalement en 2023, sans licence requise. Mais l’Autriche pense que l’œuvre, créée par un artiste autrichien et provenant d’une collection viennoise, relève de son patrimoine national — ce qui rendrait l’exportation illégale selon leurs lois.

Quelle est la valeur estimée de cette œuvre ?

Lors de sa présentation à TEFAF Maastricht en mars 2025, le prix demandé était de 15 millions d’euros (16,4 millions de dollars). Mais sa valeur réelle pourrait être bien plus élevée, compte tenu de sa rareté, de son histoire et de son importance historique. Des experts estiment qu’elle pourrait dépasser les 20 millions d’euros lors d’une vente publique.

Y a-t-il d’autres œuvres de Klimt représentant des Africains ?

Non, aucune autre œuvre connue de Klimt ne représente un Africain comme sujet principal. Un portrait du même prince, peint par son ami Franz Matsch, est conservé au Luxembourg, mais il est moins complexe et moins innovant. Celui de Klimt est unique, tant par son style que par son humanité.

Que risque la galerie Wienerroither and Kohlbacher ?

La galerie risque des sanctions pour exportation illégale, même si elle a des documents hongrois en sa faveur. Elle a déjà investi plus de 200 000 euros en restauration. Si la peinture est confisquée par l’État autrichien ou rendue à la Hongrie, elle pourrait perdre non seulement son investissement, mais aussi sa réputation. Une décision injuste pourrait décourager d’autres galeries de traiter des œuvres de patrimoine.

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